Notre Entretien avec Guillem Grosperrin

Nous avons la chance de connaître Guillem et de partager notre passion de recherche et de sélection de spiritueux, en particulier Cognacs, Armagnacs, mais aussi Moûts concentrés et autres apéritifs à base de moût de raisin. C’est toujours un plaisir de se retrouver dans les chais pour partager des pépites qui ne se retrouveront vraisemblablement jamais en bouteille, faute de public, ou sur les salons où nous nous croisons toujours et arrivons à partager des drams avec des amis communs.
Florent de Aurian, Guillem de Grosperrin, et Boris et Sebastian de WuDramClan
Sommaire

Nous avons la chance de connaître Guillem et de partager notre passion de recherche et de sélection de spiritueux, en particulier Cognacs, Armagnacs, mais aussi Moûts concentrés et autres apéritifs à base de moût de raisin.

C’est toujours un plaisir de se retrouver dans les chais pour partager des pépites qui ne se retrouveront vraisemblablement jamais en bouteille, faute de public, ou sur les salons où nous nous croisons toujours et arrivons à partager des drams avec des amis communs.

 

Entretien entre Florent et Guillem, Mars 2023 :

F : Guillem, nous allons rentrer dans le vif du sujet. Nous avons présenté la maison de manière globale et générale, maintenant parlons jus ! Est-ce que tu peux commencer par nous dire comment tu sélectionne tes cognacs ? Est-ce que tu vas sur les propriétés, ou est-ce que l’on vient te proposer des cognacs ?

G : Les deux ! Des producteurs nous les emmènent (environ 30%) et pour le reste, environ 70%, je vais les chercher. Les propriétaires chez qui nous allons chercher les cognacs sont des gens avec qui on travaille depuis longtemps, mais pas toujours. À cognac, la plus grosse partie du stock est chez les négociants (environ 80%), donc il y a une culture de passer par les négociants. 98% du cognac est commercialisé par les négociants. En fait, même les cognacs qui sont disponibles en propriété sont souvent des eaux-de-vie déjà contractualisées. Le stock libre est en fait extrêmement faible. Les cognacs sont très demandés. Les très très vieilles eaux de vie (plus de 50 ans), ne traînent pas une seconde car tout le monde en veut.

Dans les années 70 par exemple il n’y a presque plus rien, nous avons rentré un peu de 1975 récemment mais c’est devenu rare.

F : Quand tu rentres un Cognac [achète un Cognac à un producteur et le rentre dans ses chais, ndlr], est-ce que tu sais déjà combien de temps tu vas l’affiner ?

G : Non, ma seule vision c’est de me dire : est-ce que le lot est assez bon pour que je puisse le garder quoi qu’il arrive. Je ne cède jamais sur la qualité, même quand on a une opportunité spécifique, car si l’opportunité disparaît, nous devons pouvoir garder le Cognac pendant encore des années.

En fait c’est vraiment le fil conducteur et le point sur lequel je n’ai jamais transigé, je ne rentre rien qui ne passe pas le plus haut standard de qualité de la maison.

F : Les gens ne se rendent peut-être pas compte de la quantité de différentes qualités à déguster dans nos métiers, est-ce que tu peux nous dire tes habitudes pour la dégustation, la prise de décision ?

G : Je goûte que le matin, pas l’après-midi (désagréable pour moi, et je goûte mal), de préférence pas trop tôt (idéal à 10h30-11h). Je goûte tous les jours, il est très rare que je passe une journée sans déguster. J’ai un seuil de tolérance très élevé à la dégustation [peut déguster une grande quantité sans saturer la perception, notons aussi que les professionnels inclus Guillem crachent systématiquement]. Je vais revenir plusieurs fois à un même échantillon, sur plusieurs jours ou plusieurs semaines avant de prendre une décision. Je ne me presse pas, je n’aime pas être pressé et je préfère prendre mon temps.

F : Est-ce que tu as un étalon ? [Un cognac Grosperrin ou autre pour ‘calibrer’ le palais à chaque dégustation]

G : Ah oui comme toi je suis sûr ! J’ai des références de chez moi pour maintenir une qualité similaire à ce que nous avons, des grands classiques qui sont pour moi les références de tel ou tel style ou cru. Cela rend les choses compliquées de s’imposer ça : pas toujours facile de maintenir le niveau que nous nous imposons !

J’utilise des cognacs de chez nous avec des profils : pâtissier, tannique par exemple [par contraste avec les classiques de crus par exemple]. Ils me permettent de juger jusqu’où on peut aller dans certaines choses, certaines dimensions : parfois, même si c’est extrême on y va quand même !

F : Une des choses qui m’ont surprises quand nous nous sommes connus est la variété au sein de l’appellation : tu m’as fait déguster un Cognac de l’île d’Oléron et même aujourd’hui j’en reste scotché. Est-ce que tu peux nous parler de cette variété et des Cognacs moins connus, un peu éclipsés par les grands de ce monde ?

G : L’appellation est très grande, elle fait 85000 hectares, c’est presque 150 km d’un point à un autre. Néanmoins, il y a une certaine homogénéité. Il y a des terroirs maritimes (la côte et l’île d’Oléron), sableux, argileux, et des terroirs plus calcaires.

Paradoxalement, on trouve parfois plus de diversité dans un même crû que dans des crûs différents.

Néanmoins, les grandes lignes justifient les crus comme ils sont aujourd’hui :

Cognac est à la confluence des deux bassins sédimentaires, et de deux massifs, donc c’est assez homogène (crétacé principalement), c’est pourquoi nous n’avons que 6 crus sur une région aussi large.

Cognac, Saintes sont pour cette raison en zone sismique. Par exemple, ici, en 10 ans j’ai entendu trembler deux fois, une fois les bouteilles ont même tremblé sur les tables !

Le calcaire est très intéressant, et donne des eaux-de-vie fines, en particulier sur des vieillissements très vieux, 70 ans et plus…

F : Comment est-ce que tu gères la différence entre tes goûts, qui ont peut-être tendance à devenir de plus en plus extrêmes, et ceux des amateurs de tes cognacs ? Est-ce que des fois tu n’as pas peur d’être trop dans la niche ?

G : C’est une très bonne question. Je dirais que je n’ai pas peur de ça parce que je pense que la dégustation de cognac est le partage d’un sens esthétique plus que gustatif. Et que mes choix esthétiques correspondent en général à ceux de mes clients.

Les gens vont chercher une signature esthétique qu’ils vont reconnaître et qui va leur convenir.

Des fois je peux avoir des coups de cœur qui ne sont pas toujours partagés, c’est la vie.

Avec le temps, je deviens moins extrême quand même…

F : Est-ce que dans ces choix il y a des choses qui reviennent ? Un goût en particulier qui te plaît mais qui ne fait pas l’unanimité ?

G : Non pas vraiment. Par contre il y a des choses auxquelles je suis très sensible :

Dans beaucoup d’eau de vie des embouteilleurs indépendants je trouve qu’il y a beaucoup trop de goût de “futé”, comme un goût de soufre mais qui ne vient pas du soufre et qui vient du bois [aussi pierre à fusil], un côté pas propre [dans le sens ‘fin’]. Souvent les gens viennent du rhum/whiskys où le fût peut faire croire que ce goût vient de la qualité de la prod alors que c’est un défaut de vieillissement. Toutes les appellations ont des problèmes avec ça : bois mal séchés, bois mal stockés. C’est un mauvais vieillissement et j’y suis très sensible ! Je diffère sur ça de beaucoup d’amateurs. Dans les dégustations professionnelles c’est considéré comme un défaut, mais… sur le marché, c’est très à la mode.

[Guillem et la Maison Grosperrin sont très, très pointus sur la qualité des bois, c’est peut-être une des maisons qui maîtrisent le mieux le sujet, avec une incroyable cohérence entre leur stratégie bois et leur vision du cognac.]

Je suis moins sensible à l’amertume que j’aime beaucoup, et je sais que je dois y faire attention mais que beaucoup de gens vont être dérangés avec ça

Chacun dans notre équipe a ses sensibilités et c’est très intéressant.

Axelle [Grosperrin, la sœur de Guillem qui gère la boutique La Cale au cœur de la Maison Grosperrin à Saintes] a par exemple une tolérance à l’acidité qui est impressionnante, donc elle, elle fait attention à ça. Elle est très sensible à l’amertume par exemple.

C’est important de connaître ses préférences, sensibilités, et de travailler en équipe pour trouver de bons équilibres.

F : Est-ce que tu as des conseils à donner aux dégustateurs de WhiskyBox ?

G : Ne pas goûter du cognac après avoir goûté du whisky. Le whisky a tendance à saturer les papilles.

Le cognac est bien avec du cognac, mon seul conseil est de le goûter loin des repas et loin des autres spiritueux.

Le risque de goûter un cognac à côté d’un Armagnac est de dire je préfère le cognac à l’armagnac alors que c’est faux. Il vaut mieux goûter chaque spiritueux seul pour ne pas en arriver à ces conclusions trop hâtives !

Pour la dégustation à proprement parler :

  • La meilleure chose à faire en dégustation c’est de boire de l’eau.
  • En digestif la meilleure chose à faire c’est de boire une tisane !

F : Je suis vraiment d’accord, d’ailleurs nous avons conseillé lors d’une de nos lettres à nos abonnés de prendre la dégustation comme une cérémonie du thé au Japon, de prendre conscience de son environnement.

G : Absolument ! La dégustation, c’est spirituel, comme une cérémonie du thé. On va vers ses alcools rares un peu pointus : chaque achat est un peu un sacrifice ! Nous on a une responsabilité par rapport à ça, et il faut aller au bout du truc par rapport à l’expérience de dégustation !

La dégustation des spiritueux, ce n’est pas une expérience gastronomique, c’est différent.

C’est aussi pour ça que nos produits sont mal compris des sommeliers : ils sont en déconnexion par rapport aux spiritueux car ils pensent les spiritueux dans un projet gastronomique. C’est aussi une expérience gastronomique mais ce n’est pas que ça, il y a l’expérience esthétique et spirituelle qui va avec et c’est celle-ci qu’on oublie souvent. On propose quelque chose qui relève du goût, au sens le plus dépouillé qui soit.

* Nous remercions le grand WuDramClan, l’un des premiers embouteilleurs indépendants d’armagnac, pour la courtoise mise à disposition de la photo de couverture. En photo de gauche à droite : Boris (WuDramClan), Florent (Whiskybox), Guillem (Grosperrin), Sebastian (WuDramClan). 

Laissez un commentaire

A propos de WhiskyBox

WhiskyBox propose des coffrets de dégustation de whiskys depuis 2013. Lancé par Florent et Isabella, deux spécialistes du monde du spiritueux, WhiskyBox a permis a des milliers de personnes d’en apprendre davantage sur le whisky.

Nos derniers posts...

Suivez-nous

Découvrez WhiskyBox en vidéo...

Inscrivez-vous à notre newsletter et ne ratez rien du monde du whisky